L’ijtihad, c’est l’extraction les lois auxquelles ne fait référence aucun texte explicite n’acceptant qu’une seule signification.
Le moujtahid est donc celui qui est qualifié pour l’exercer, en connaissant par cœur les ‘ayah et les hadith qui concernent les lois tout en connaissant leurs chaînes de transmission et le degré de fiabilité de ceux qui les ont transmis, ce qui abroge et ce qui est abrogé, ce qui est général et ce qui est particulier, ce qui est absolu et ce qui est conditionné, tout en possédant une maîtrise de la langue arabe de façon à connaître la signification des termes cités dans les textes, conformément à la langue dans laquelle a été révélé le Qour’an et en connaissant aussi ce qui fait l’objet de la concordance des avis des moujtahid et ce qui fait l’objet de divergence entre eux. Parce que s’il ne connaît pas ces choses-là, il n’est pas prémuni contre le fait de violer l’Unanimité c’est-à-dire l’Unanimité des moujtahid qui l’ont précédé.
Il y a de surcroît une condition qui est un pilier majeur pour la déduction des lois, c’est la perspicacité, c’est-à-dire la force de compréhension et l’aptitude à saisir les différentes significations.
Il est aussi une condition pour le moujtahid d’être digne de confiance [1], à savoir d’être sauf des grands péchés et de la persistance à commettre les petits péchés au point que leur nombre dépasserait celui des récompenses.
Quant au mouqallid, c’est quelqu’un qui n’a pas atteint ce degré.
La preuve que les musulmans se répartissent en ces deux classes réside dans sa parole r :
(( نَضَّرَ اللهُ امْرَأً سَمِعَ مَقَالَتِي فَوَعَاهَا فَأَدَّاهَا كَمَا سَمِعَهَا، فَرُبَّ مُبَلِّغٍ لاَ فِقْهَ عِنْدَهُ ))
[rapporté par At-Tirmidhiyy et Ibnou Hibban] (naddara l-Lahou mra’an sami^a maqalati fawa^aha fa ‘addaha kama sami^aha faroubba mouballighin la fiqha ^indah) ce qui signifie : « Que Allah fasse resplendir au jour du jugement le visage de celui qui a entendu ma parole, l’a mémorisée et l’a transmise telle qu’il l’a entendue. Combien de ceux qui la transmettent n’en ont pas de compréhension complète ».
Ce qui est à retenir dans le hadith, c’est sa parole : (faroubba mouballighin la fiqha ^indah) ce qui signifie : « Combien de ceux qui la transmettent n’en ont pas de compréhension complète ». Dans une autre version, on trouve :
(( وَرُبَّ مَبَلَّغ أَوْعَى مِنْ سَامِعٍ ))
(wa roubba mouballaghin ‘aw^a min sami^) ce qui signifie : « Combien de ceux à qui elle est transmise en ont plus de compréhension que le premier à l’avoir entendue ». Il nous fait donc comprendre que parmi ceux qui ont entendu le hadith de la bouche même du Messager, il y a celui dont la part est de transmettre aux autres ce qu’il a entendu, sa compréhension étant moins forte que celui à qui il le transmet, de sorte que ce dernier a la capacité, grâce à sa forte intelligence, d’en extraire des jugements et des lois, on appelle cela la déduction (istimbat). En revanche, celui qui a entendu n’a pas cette forte capacité , il n’en saisit que le sens immédiat. On a su dès lors que certains compagnons avaient une compréhension moins forte que ceux qui entendaient d’eux le hadith du Messager de Allah.
Dans une version de ce hadith, il y a :
(( فَرُبَّ حَامِلِ فِقْهٍ إْلَى مَنْ هُوَ أَفْقَهُ مِنْهُ ))
(faroubba hamili fiqhin ‘ila man houwa ‘afqahou minh) ce qui signifie : « Combien de gens transmettent une connaissance à qui en aura plus de compréhension qu’eux ». Ces deux versions se trouvent dans At-Tirmidhiyy et Ibnou Hibban.
Le moujtahid dont il est question est l’objet de sa parole r :
(( إِذَا اجْتَهَدَ الْحَاكِمُ فَأَصَابَ فَلَهُ أَجْرَانِ وَإِذَا اجْتَهَدَ فَأَخْطَأَ فَلَهُ أَجْرٌ ))
[rapporté par Al-Boukhariyy] (‘idha jtahada l-hakimou fa’asaba falahou ‘ajrani wa ‘idha jtahada fa‘akhta’a falahou ‘ajroun) qui signifie : « Si le gouverneur fait un ijtihad et dit juste, il a une double récompense. Tandis que s’il fait un ijtihad et se trompe, il a une simple récompense ». Le Messager de Allah n’a spécifié dans son hadith le gouverneur en le citant que parce que le gouverneur a besoin de la déduction des lois, plus que tout autre. Il y a eu parmi les gens du Salaf des moujtahid qui ont exerçé avec cela les fonctions de gouverneur, tels les six Califes Abou Bakr, ^Oumar, ^Outhman, ^Aliyy, Al-Haçan Ibnou ^Aliyy et ^Oumar Ibnou ^Abdi l-^Aziz ainsi que Chourayh Al-Qadi.
Les savants du hadith qui ont composé des livres de la terminologie du hadith (moustalah) ont dénombré moins que dix moufti –dans le sens de moujtahid– parmi les compagnons [2] ; il a été dit : « environ six », et l’un des savants a dit : « environ deux cents parmi eux ont atteint le degré de l’ijtihad », et cet avis est le plus sûr.
Par conséquent, si telle était la situation parmi les compagnons, sur quelle base serait-il valable que tout musulman pouvant réciter le Qour’an et lire quelques livres dise (que ceux-là étaient des hommes et nous, nous sommes des hommes, nous n’avons pas à les imiter), alors qu’il est confirmé que la plupart des gens du Salaf n’étaient pas moujtahid mais étaient bel et bien mouqallid et suivaient l’avis des moujtahid parmi eux ?! Dans Sahihou l-Boukhariyy, il est rapporté qu’un homme avait loué ses services à un autre puis avait commis l’adultère avec sa femme. Le père de l’employé demanda son jugement. On lui répondit : Ton fils doit cent brebis et une servante. Puis il demanda aux gens de science. Ils lui dirent : Ton fils doit recevoir cent coups de fouet et être exilé pendant un an. Il se rendit finalement auprès du Messager r avec l’époux de la femme et lui dit : « Ô Messager de Allah, mon fils avait loué ses services à cet homme et a commis l’adultère avec sa femme. Des gens m’ont dit que mon fils doit être lapidé. J’ai alors compensé mon fils avec cent moutons et une servante. Ensuite j’ai demandé aux gens de science et ils m’ont dit : ton fils doit plutôt recevoir cent coups de fouet et être exilé pendant un an ». Le Messager de Allah r dit alors :
(( الْمِائَةُ شَاةٍ وَالْوَلِيدَةُ رَدٌّ عَلَيْهِ وَإِنَّ عَلَى ابْنِكَ جَلْدُ مِائَةٍ وَتَغْرِيبُ عَامٍ ))
(la’aqdiyanna baynakouma bikitabi l-Lah : ‘amma l-walidatou wa l-ghanamou faraddoun ^alayhi wa ^ala bnik jaldou mi’atin wa taghribou ^am) ce qui signifie : « Je jugerai entre vous par le Livre de Allah. Concernant les cents brebis et la servante, elles ne sont pas acceptées dans ce cas ; et concernant ton fils, il doit recevoir cent coups de fouet et être exilé pendant un an ».
Cet homme, bien qu’il fît partie des compagnons, a demandé à des gens qui étaient, eux aussi, des compagnons et ils n’ont pas répondu correctement. Puis il a demandé à des savants parmi les compagnons et le Messager lui a donné l’avis qui correspondait à ce qu’avaient dit les savants. Par conséquent, si le Messager nous a fait comprendre que certains de ceux qui entendaient de lui le hadith n’en avaient pas une compréhension complète, c’est-à-dire une capacité pour déduire les lois de ses hadith, leur part étant simplement de transmettre de lui ce qu’ils en avaient entendu, bien qu’ils comprissent la langue arabe classique, alors que dire de ces activistes qui ont l’audace de dire (que ceux-là étaient des hommes et nous nous sommes des hommes) ?! Or, par leur parole (ceux-là étaient des hommes), ils visent les moujtahid tels que les quatre Imams !…
Dans le même sens, il y a ce qu’a cité Abou Dawoud de l’histoire de l’homme blessé à la tête qui s’était retrouvé jounoub par une nuit froide. Il avait demandé l’avis à ceux qui étaient avec lui. Ils lui dirent : Fais le ghousl. Il fit donc le ghousl et en mourut. Le Messager de Allah r en fut informé et dit :
(( قَتَلُوهُ قَتَلَهُمُ اللهُ ))
(qatalouhou qatalahoumou l-Lah ‘ala sa’alou ‘idh lam ya^lamou fa’innama chifa’ou l-^iyyi s-sou’al) ce qui signifie : « Ils l’ont tué [ensuite il a invoqué contre eux] Pourquoi n’ont-ils pas demandé du moment qu’ils ne savaient pas ? Le seul remède contre l’ignorance, c’est de demander » c’est-à-dire de demander aux gens de science. Il a dit ensuite :
)) إِنّما كان يكفيه أن يتيمّم ويعضب على جُرحه خِرقةً ثمّ يمسحُ عليها ويغسلُ سائرَ جَسَدِه ((
[rapporté par Abou Dawoud et d’autres] (‘innama kana yakfihi ‘an yatayammama wa ya^siba ^ala jourhihi khirqatan thoumma yamsahou ^alayha wa yaghsilou sa’ira jaçadih) ce qui signifie : « Certes, il lui suffisait de faire simplement le tayammoum et de panser sa plaie avec un tissu, ensuite il passe la main mouillée dessus et il lave le reste de son corps ». Par conséquent, si la déduction des lois était valable de la part de n’importe quel musulman, le Messager de Allah ne les aurait pas blâmés, eux qui ont donné un avis de jurisprudence à cet homme alors qu’ils ne faisaient pas partie des gens qualifiés pour donner la fatwa.
D’autre part, la tâche du moujtahid qui lui est spécifique, c’est la déduction des lois par analogie (qiyas) c’est-à-dire déduire le jugement de ce qui ne fait pas l’objet d’un texte à partir de ce qui fait déjà l’objet d’un texte, en vertu d’une similarité entre les deux.
Par conséquent, prenez garde, prenez bien garde aux gens qui incitent leurs adeptes à pratiquer la déduction des lois bien qu’ils soient, eux et leurs émules, très loin de ce degré. Ceux-là veulent ruiner et invitent leurs adeptes à saboter les choses de la religion. Semblables à eux, les gens qui ont pris l’habitude dans leurs assemblées de distribuer à l’assistance l’interprétation d’une ‘ayah ou d’un hadith bien qu’ils n’en aient reçu au préalable aucune transmission digne de considération de la bouche des savants. Ces connaisseurs autoproclamés ont dévié de la voie des savants spécialistes des fondements parce que les savants des fondements ont dit : « La déduction des lois par analogie (al-qiyas) est la tâche du moujtahid » ; et ils ont contredit les savants du hadith également.
[1] ^Adl
[2] Comme dans le livre de la terminologie du hadith –moustalah– Tadribou r-Rawi de As-Souyoutiyy.